Interconnexion France-Espagne : un chantier titanesque est en cours pour renforcer le lien électrique entre les deux pays et éviter que la péninsule Ibérique ne reste isolée du réseau européen.
Cette liaison à très haute tension, majoritairement sous-marine, permettra d’ici 2028 de quasiment doubler les capacités d’échange d’électricité entre les deux pays. Concrètement, la capacité passera d’environ 2,8 GW aujourd’hui à 5 GW à la mise en service, soit l’équivalent de la consommation de 5 millions de foyers.
On vous propose un rapide tour d’horizon de ce chantier titanesque qui va beaucoup faire parler de lui ces prochains mois !
Pourquoi renforcer l’interconnexion électrique entre la France et l’Espagne ?
Historiquement, le réseau espagnol a longtemps été peu connecté au reste de l’Europe. Jusqu’en 2015, seulement quatre lignes électriques franchissaient la frontière franco-espagnole, ce qui totalisait 1 400 MW de capacité d’échange. Cette situation faisait de la péninsule Ibérique une sorte d’« île électrique », limitant les possibilités d’importer ou d’exporter de l’énergie en cas de besoin, un peu problématique…
En 2015, un premier renforcement majeur a été réalisé avec l’ajout d’une ligne à très haute tension en courant continu (HVDC) de 320 kV reliant Baixas (Pyrénées-Orientales) à Santa Llogaia (Catalogne).
Longue de 65 km (dont 8,5 km en tunnel sous les Pyrénées), cette liaison a doublé la capacité d’interconnexion, la portant à 2 800 MW environ.
Malgré ça, ce niveau reste modeste face aux enjeux actuels : l’Espagne et la France disposent de parcs de production importants (nucléaire, solaire, éolien, hydraulique…) et échanger davantage pourrait profiter aux deux côtés des Pyrénées.
Par exemple, les pics de production solaire en milieu de journée en Espagne pourraient, grâce à une liaison renforcée, alimenter le réseau français lorsque la demande y est forte. Inversement, les surplus d’éolien FR pourraient être envoyés en Espagne lors des périodes plus mitigées.
En augmentant la capacité d’échange, on favorise une meilleure utilisation des ressources renouvelables disponibles de part et d’autre de la frontière, au bénéfice de la décarbonation de l’électricité. Plus largement, une interconnexion plus puissante contribue aussi à la sécurité énergétique : en cas de coup dur (panne d’une centrale, vague de froid, canicule…), chaque pays pourra davantage compter sur son voisin pour l’approvisionner en électricité. Les responsables européens soulignent d’ailleurs que ce projet permettra « d’assurer que la péninsule Ibérique ne soit plus une île énergétique », selon les mots de Nadia Calviño, présidente de la Banque européenne d’investissement.
Une liaison sous-marine de 400 km via le golfe de Gascogne

Pour répondre à ces besoins, la France et l’Espagne ont donc lancé un projet de nouvelle ligne à très haute tension entre la Gironde et le Pays basque espagnol.
Le tracé retenu s’étire sur environ 400 km entre le poste électrique de Cubnezais (au nord de Bordeaux) et celui de Gatika (près de Bilbao). Sur ce parcours, environ 300 km de câbles seront posés sous la mer, à travers le golfe de Gascogne, faisant de cette infrastructure la première interconnexion en grande partie sous-marine entre les deux territoires .
Les ingénieurs ont aussi prévu un détour terrestre pour éviter le canyon sous-marin de Capbreton (d’une trop grande profondeur) : le câble sera ramené à terre sur une portion de la côte landaise, pour le contourner, puis replongera.
Comme ça se présente techniquement ?
Il s’agit d’une liaison en courant continu haute tension (HVDC) comportant quatre câbles (deux par pôle).
À chaque extrémité, une station de conversion transformera le courant continu en courant alternatif (et vice-versa) pour raccorder la connexion aux réseaux nationaux existants.
- Côté français : cette station est en construction à Cubnezais (33)
- Côté espagnol : son équivalent sort de terre à Gatika, en Euskadi.
Le gestionnaire français RTE et son homologue espagnol Red Eléctrica se sont alliés au sein d’une coentreprise, Inelfe, pour piloter ce chantier hors norme, avec un coût total estimé à plus de 3 milliards d’euros !
Elle bénéficie d’un fort soutien de l’Union européenne, qui l’a désigné Projet d’intérêt commun (PIC) et apporte une subvention de 578 millions d’euros (via le mécanisme pour l’interconnexion en Europe). La Banque européenne d’investissement a également approuvé en 2025 un prêt de 1,6 milliard d’euros pour financer sa construction.
Calendrier des travaux et étapes clés jusqu’en 2028
Les études et concertations autour de cette interconnexion ont duré plusieurs années (depuis 2017) pour aboutir sur le tracé le plus optimisé et d’obtenir les autorisations environnementales.
Une fois ces étapes, de passées, le chantier a pu démarrer à l’automne 2023. RTE a entamé les premiers travaux préparatoires simultanément en France et en Espagne, et le projet suit depuis un planning serré sur plusieurs années :
Connexion terre-mer
Début des travaux sur les sites d’atterrage en France, notamment au Porge (Gironde).
Des micro-tunnels ont été forés sous la dune côtière pour permettre l’arrivée des futurs câbles sous-marins en minimisant l’impact sur le littoral (les plages restant accessibles pendant les travaux).
Seignosse / Capbreton
Travaux d’atterrage (point où un fil sous-marin touche terre pour être relié au réseau terrestre) successifs à Seignosse et Capbreton (Landes). Un tunnel de plus d’un kilomètre est creusé sous la côte landaise afin de préparer le passage du câble et d’éviter le profond gouffre de Capbreton.
En parallèle, plus de la moitié des tranchées terrestres nécessaires à l’installation des câbles souterrains en France sont réalisées dès mi-2024.
Station de Cubnezais
Pose symbolique de la première pierre de la station de conversion de Cubnezais, en présence des responsables de RTE et de Red Eléctrica.
À cette date, les bâtiments de la station française sont déjà bien avancés (leur construction doit s’achever courant 2025), tandis qu’en Espagne la station de Gatika progresse également. Pour le moment, le calendrier prévu est respecté !
Suite des travaux
Une fois les travaux civils terminés sur les stations et les segments souterrains, le déploiement du câble sous-marin pourra commencer.
L’installation en mer, à l’aide de navires câbliers spécialisés, est programmée sur environ deux ans (2026-2027). Les fils seront progressivement déroulés et posés sur le fond de l’océan, puis enterrés dans les sédiments marins lorsque c’est possible ou protégés par un enrochement dans les zones rocheuses.
Derniers ajustements
Raccordement final aux stations de conversion et phase de tests du nouvel équipement.
Les convertisseurs et l’ensemble de la liaison seront soumis à une batterie d’essais pour s’assurer de leur bon fonctionnement avant la mise en service commerciale.
Mise en service
Si tout se déroule comme prévu, d’ici la fin 2028 la ligne sera pleinement opérationnelle et pourra acheminer jusqu’à 5 000 MW d’électricité entre les deux territoires !
À noter qu’en parallèle, le gestionnaire espagnol REE mène des travaux similaires sur son territoire (par exemple, les fondations de la station de Gatika et les préparatifs d’atterrage près de Bilbao à Lemoniz).
Un réseau plus solidaire, plus stable et plus vert en Europe
Vous l’aurez compris, une fois en service, cette nouvelle interconnexion apportera des bénéfices tant pour la France que pour l’Espagne – et in fine pour les consommateurs.
Porter la capacité d’échange à 5 GW (près de 80 % de plus qu’aujourd’hui) offrira une flexibilité bien plus grande aux opérateurs : ils pourront faire transiter de larges volumes d’électricité en quelques instants selon les besoins.
En période de pointe de demande ou de tension sur l’approvisionnement, ce lien jouera le rôle d’une bouée de sauvetage en permettant d’importer du courant du pays voisin (évitant ainsi de potentielles coupures). À l’inverse, en cas de surproduction d’énergie renouvelable d’un côté, l’excédent pourra être exporté plutôt que gaspillé.
Sur le plan économique, une meilleure interconnexion devrait aussi gommer les écarts de prix de l’électricité entre la France et la péninsule Ibérique. L’Espagne, bénéficiant d’un fort ensoleillement et de beaucoup d’éolien, pourrait exporter son surplus à coût compétitif vers la France pendant les heures creuses locales. Réciproquement, la France pourrait fournir son surplus (par exemple nucléaire ou éolien) à l’Espagne quand celle-ci en aura besoin. Pour les particuliers, à terme, ça signifierait une énergie plus abordable et moins soumise aux aléas locaux.
Enfin, cette interconnexion s’inscrit pleinement dans la transition verte. En facilitant l’intégration des énergies renouvelables à l’échelle du continent, elle contribue à réduire les émissions de CO₂ du secteur électrique.
Les responsables politiques ne manquent pas de souligner cet aspect : « C’est très important car cela illustre la volonté de l’Espagne et de la France d’aller plus loin pour décarboner nos économies, et cela montre la solidarité qui existe pour relever le défi de la sécurité énergétique de l’Europe », a déclaré Marc Ferracci, ministre de l’Industrie et de l’Énergie, lors de l’annonce du financement européen en juin dernier.
L’histoire de ce projet n’est pas terminée. D’autres connexions transfrontalières sont d’ores et déjà envisagées pour le futur (y compris de nouvelles traversées des Pyrénées), afin de tisser un véritable réseau électrique européen unifié. Le récent blackout ibérique l’a rappelé : face aux défis énergétiques à venir, coopérer et partager l’électricité entre voisins s’avère plus que jamais essentiel !
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